La première section porte sur l'accouchement traditionnel, vécu par la femme dans son milieu et entourée de personnes qui lui sont familières (famille, sage-femme vue comme une paire et faisant partie de son milieu) et sa disparition progressive à mesure que la médecine et la technique ont investi l'accouchement. Les traditions de trois peuples autochtones font l'objet d'un chapitre chacune et sont parmi les chapitres que j'ai trouvés les plus intéressants! Par exemple, dans "Accoucher dans un iglou", on apprend que chez les femmes inuit,
[o]n ne connaît pas de cas où se soit produit une déchirure du périnée. "On nous disait que la peau ne déchirerait pas parce qu'elle est très élastique et qu'on ne devrait avoir aucune crainte." (p. 84)Ce discours et cette expérience sont totalement différent de ce qui prévaut en ce moment au Québec! Il faut dire que le mode de vie physiquement très actif des femmes inuit d'antan, où la position accroupie est fréquente, favorise probablement un meilleur développement du périnée que le mode de vie contemporain... Mais de là à l'épisiotomie de routine qui avait lieu il y a quelques années, quel écart!
La deuxième section porte sur la médicalisation de l'accouchement, l'éradication des sage-femmes ainsi que l'évolution de l'obstétrique et du rôle de la technologie au 20e siècle. C'est très intéressant d'apprendre d'où viennent certaines recommandations aux femmes enceintes et comme se sont développé certaines interventions. Si on a eu la chance de parler de leurs grossesses et accouchements avec des femmes des générations qui nous précèdent, ces chapitres aident aussi beaucoup à mettre leur expérience dans le contexte de leur époque. Cette section me fait aussi apprécier d'accoucher en 2007 plutôt qu'en 1977 (l'année de ma naissance) ou en 1987 (l'année de publication de ce livre), maintenant que le milieu médical a commencé à retourner vers une vision plus humaine de l'accouchement et de la naissance (par exemple, on encourage la participation du père au lieu de l'exclure) et que certaines pratiques médicales barbares (comme l'épisiotomie automatique) disparaissent à mesure qu'on prouve leur inutilité. J'écris ceci tout en étant consciente que les femmes du futur seront probablement contentes d'accoucher en 2017 ou 2027 plutôt qu'en 2007...
La troisième partie présente différentes expériences "actuelles" au sujet de la grossesse et de l'accouchement: lieu de l'accouchement, rôle du père, recours à une sage-femme (et ceci date d'avant la légalisation des sage-femmes au Québec), témoignage d'un médecin ouvert. J'ai utilisé des guillements pour le mot "actuel" car le contenu de ces articles l'était au moment où le livre a été écrit, soit dans les années 80, donc plusieurs de ces chapitres ont perdu beaucoup d'actualité! Entre autres, celui sur les cours prénataux en CLSC présente un portrait complètement de ce que je vois en ce moment. J'aimerais bien lire une version 2007 de cette section du livre... En attendant, la version 1987 demeure intéressante surtout pour apprécier de ne plus être à cette époque, comme je l'ai mentionné au dernier paragraphe. Le témoignage du médecin m'a tout de même fait beaucoup réfléchir, surtout le passage suivant.
Au début de l'hiver 1978, un couple ayant eu vent de mon ouverture se présente à mon bureau avec une approche plutôt antimédicale et naturiste. Ils me demandent de les accompagner dans un accouchement à domicile. Après deux heures de discussion, je refuse. Quelques jours plus tard, la femme m'appelle pourtant pour me dire que ses membranes sont rupturées depuis trois jours [*]. Nous négocions un déclenchement à l'hôpital. Au bout de quelques heures, elle quitte l'hôpital, trouvant ce lieu trop médicalisé. Avec patience, je lui trouve une place dans un autre hôpital plus humain: même scénario. Elle s'en retourne donc chez elle, avec une sage-femme qui souhaitait plutôt un déclenchement à l'hôpital. Le lendemain matin, la sage-femme retrouve une note sur la table: "Vous êtes tous trop médicalisés, salut!" Quelques jours plus tard, nous apprenons que le couple a accouché en pleine nature d'un enfant qui a eu une souffrance majeure à la naissance et a dû être hospitalisé à l'Unité néo-natale, avec un pronostic sombre de vie autonome. (p. 401)
*Note pour les non-initiés, pour mieux comprendre cette anecdote: d'après mes lectures, après la rupture des membranes, il faut généralement provoquer l'accouchement s'il ne se produit pas environ dans les 24h, la rupture des membranes amène un risque, croissant avec le temps, d'infection du foetus ou d'écrasement du cordon ombilical (causant un manque d'alimentation et d'oxygénation du foetus) puisque le sac amniotique ne sépare plus le foetus de l'extérieur et qu'il n'y a plus de coussinage par le liquide amniotique.
Cette anecdote est le genre d'histoire qui faisait (et dans certains cas, fait peut-être encore aujourd'hui) probablement croire à bien des médecins que tous les gens qui veulent une naissance moins médicalisée sont aussi radicaux et font passer leur idéal de naissance avant le bien-être de leur enfant même lorsque des problèmes exceptionnels surviennent... J'ai plutôt l'impression que ce n'est pas le cas, même si je sais qu'il existe encore de ces radicaux que je trouve imprudents (ceux de l'anecdote ci-dessus représentant un extrême sûrement rare)! Pour ma part, cette anecdote m'a fait réfléchir et, bien que je souhaite que, quand j'accoucherai, les interventions médicales soient limités au strict nécessaire, je souhaite par-dessus tout que mon bébé naisse en santé! Si jamais ça implique de laisser faire mon idéal, soit!
De façon globale, comme je le disais en introduction, j'ai apprécié la perspective que m'a donné ce livre en parlant autant de l'accouchement "naturel" des autochtones du temps où ils vivaient traditionnellement que de la surmédicalisation de la deuxième moitié du 20e siècle et du mouvement d'humanisation des naissances que ça a entraîné. Plus que de simples informations historiques, ces renseignements m'ont aidé à prendre conscience que c'est moi qui va accoucher, le corps médical étant un soutien et non l'acteur principal, mais aussi à apprécier ce soutien dans la mesure où il m'est offert de façon éclairée et respectueuse. Je le recommande comme lecture de culture personnelle et générale, mais si vous avez peu de temps pour lire en préparation de votre accouchement, ça ne me semble pas une lecture prioritaire.
Référence:
Accoucher autrement. Repères historiques, sociaux et culturels de la grossesse et de l'accouchement au Québec. 1987. Collectif, sous la direction de Francine Saillant et Michel O'Neill. Éditions Saint-Martin, 450 p., ISBN 2-89035-094-0.
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